Quand le tilde "~"fait tilt! - Le Figaro
19.11.2018 - Article du figaro
La justice autorise la
présence du «ñ» dans les prénoms
La cour d'appel de Rennes a tranché : l'orthographe
bretonne du prénom «Fañch» peut finalement être légalement attribuée à un
enfant. En première instance, le tribunal de Quimper l'avait refusé, à cause du
tilde qui accompagne le «n».
Le tilde (~) est-il compatible avec l'état civil
français? Oui, estime la cour d'appel de Rennes, dont la décision fera sans
doute jurisprudence. Ce signe en forme de vague était au cœur d'une polémique
concernant les prénoms bretons et basques. Les magistrats rennais ont estimé
que ce tilde est déjà utilisé dans la langue française, notamment dans le
dictionnaire de l'Académie française et pouvait donc figurer également sur les
prénoms.
À l'origine de l'histoire, on trouve le petit Fañch
(diminutif de François en breton), âgé d'un an et demi. Lui n'y est pour rien,
mais, après sa naissance, le 11 mai 2017, le tilde posé sur son prénom est
refusé par l'état civil de Quimper (Finistère). L'officier d'état civil a en
effet refusé de retenir l'orthographe bretonne, avant d'être désavoué par
l'adjointe au maire, Isabelle Le Bal (Modem). C'est alors que le procureur
saisit le tribunal, au nom du respect de la langue française. Le 13 septembre 2017, le jugement tombe.
Autoriser le tilde reviendrait «à rompre la volonté de notre État de droit de
maintenir l'unité du pays et l'égalité sans distinction d'origine», estime
le tribunal de Quimper, citant notamment la loi du 2 Thermidor An II (20 juillet
1794) qui a imposé, à la toute fin de la Terreur, le français comme seule
langue de l'administration. Est aussi évoquée une circulaire ministérielle de 2014, qui établit
une liste limitative de seize signes (accent, tréma, cédille, etc.) «connus de
la langue française», pouvant donc être utilisés dans l'état civil. Bien que
présent dans les dictionnaires (par exemple dans le mot «cañon»), le tilde n'y
figure pas.
L'affaire mobilise la classe politique bretonne: à
l'automne 2017, la région de Bretagne et le département du Finistère ont voté
des vœux à l'unanimité pour réclamer l'autorisation du tilde. Et le député
(LREM) Paul Molac ainsi qu'une vingtaine de députés de la majorité en ont
appelé à la Garde des Sceaux. Sans succès. «Je crois que c'est idéologique,
c'est du nationalisme linguistique», estime Paul Molac. Certains ont pourtant
souligné qu'on trouvait le tilde dans l'ordonnance royale de 1539, dite de Villers-Cotterêts,
qui a imposé le français dans les actes officiels. Interrogée au Sénat en
juillet 2018, la ministre du Travail, Muriel Pénicaud, a reconnu que le tilde
apparaissait «parfois dans des textes en langue française, datant même du Moyen
Âge» mais qu'il «s'agissait alors d'un signe abréviatif, non diacritique». Au
nom de la ministre de la Justice, elle a proposé aux communes la délivrance
«des livrets de famille bilingues».
«Ubuesque»
La famille de Fañch est soutenue par l'association Skoazell Vreizh (Secours
Breton), qui paie ses frais de justice grâce aux dons, et défendue par le
bâtonnier de Nantes Jean-René Kerloc'h, qui pointe une question de
«discrimination». «De nombreux actes de l'État français font état de
nominations avec un tilde», souligne-t-il. C'est par exemple le cas du décret
de promotion de Laurent Nuñez, actuel patron de la Direction Générale de la
Sécurité Intérieure (DGSI), au grade d'officier de l'ordre national du Mérite,
le 15 mai 2015. Ou du décret de nomination, le 20 avril 2017, du consul général
de France à Johannesburg, Sonia Doña Perez, par ailleurs officier d'état civil
du fait de ses fonctions.
«Certains ont le droit de porter des noms avec un
tilde et d'autres pas. C'est une aberration, c'est ubuesque», estime Me
Kerloc'h. Depuis le procès de première instance, un autre prénom breton, Derc'hen, a d'ailleurs
fait parler de lui, le parquet de Rennes ayant décidé, en janvier 2018, d'en
interdire l'apostrophe, au nom de la même circulaire de 2014. Mais le parquet
avait cette fois dû faire machine arrière, avec l'accord du ministère de la
Justice, sans doute car de nombreux noms de famille bretons comportent déjà une
apostrophe, comme Guivarc'h ou Le Cléac'h. Le tilde connaîtra-t-il le même
sort? L'affaire, intéresse en tout cas au pays basque ou en Catalogne, où ce
signe est répandu dans de nombreux prénoms.
«Pas
inconnu de la langue française»
Finalement, la cour d'appel de Rennes a estimé que
l'usage du tilde «n'est pas inconnu de la langue française» et figure à
plusieurs reprises dans plusieurs dictionnaires (Académie française, le Petit
Robert ou encore le Larousse de la langue française). Il est aussi utilisé par
l'État dans des décrets de nomination dans les patronymes de personnes nommées
par le président de la République. La juridiction rappelle par ailleurs que le
prénom Fañch avec son tilde a déjà été accepté auparavant par le procureur de
la République de Rennes en 2002 mais aussi par l'officier d'état civil de la
ville de Paris en 2009.