1883 | UN SOIR AU GUET, EN QUELQUES MINUTES, LE DRAME ABSOLU


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28.08.2020

Toujours à mes essais d'OCR - Reconnaissance optique de caractères - je peux ajouter un article "lisible" sur la catastrophe de Port Rhu de 1883, imaginons çà aujourd'hui....

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En lisant la presse ancienne, je retombe sur ce drame que j'ai déjà évoqué ICI...

LA PETITE REPUBLIQUE FRANÇAISE
25 NOVEMBRE 1883
LA CATASTROPHE DE D0UARNENEZ
Voici des détails sur les circonstances dans lesquelles s’est produite la catastrophe qui a eu lieu lundi à Douarnenez. Vers six heures et demie du soir, les femmes employées à la sardinerie Grivard quittaient leur travail. Vingt et une d’entre elles, toutes jeunes filles ou jeunes femmes, habitant Tréboul, commune séparée de Douarnenez par un petit bras de mer, vinrent à l'une des cales où se trouve le bateau qui fait d’ordinaire le service entre les deux communes.
Le passeur n’étant pas encore revenu de l'autre rive, ces femmes prièrent un autre batelier de les prendre dans son canot pour les conduire à Tréboul. Ce marin, nommé Queinnec, refusa tout d’abord, essayant de leur faire comprendre qu’il ne pouvait les prendre toutes et que le temps était trop mauvais pour qu’il tentât de traverser la rivière dans son embarcation, qui pouvait contenir à peine une dizaine de personnes. Après maintes supplications, il finit par consentir à prendre dix ou douze passagères en enjoignant aux autres femmes d’attendre qu'il fût de retour. Mais celles-ci, profitant d’un moment d’inattention, se précipitèrent en désordre dans l’embarcation. Un matelot qui accompagnait le patron Queinnec largua l’amarre qui retenait le canot. Au même instant, une forte lame souleva la barque, et avant que Queinncc eut eu le temps d’essayer de la retenir au moyen d’un des avirons, elle fut entraînée contre une balise et chavira. Les abords de la cale étaient déserts, la nuit sombre, le ressac de plus en plus fort. Les pauvres femmes surnagèrent quelques minutes; des cris et des appels retentirent. Hélas ! aucun moyen de secours n’était à portée. Queinnec seul, sur le quai, appelait à son aide ; il entendit peu à peu les cris s’éteindre, la mer venait d’engloutir dix huit personnes, dix-sept jeunes femmes et un homme. Quatre malheureuses, cramponnées les unes à la quille du canot, une à la balise, purent être arrachées à la mort par quelques courageuses personnes accourues au plus vite aux appels désespérés du malheureux patron. Bientôt, la population maritime de Douarnenez, émue, affolée, se précipita sur le lieu du sinistre. A tous moments, la mer rejetait sur les cales les cadavres des victimes que l’on tentait, mais vainement,de rappeler a la vie. A une heure du matin, dix sept cadavres avaient été recueillis. L’homme seul restait encore à retrouver; le lendemain, à une heure de l’après midi, il a été trouvé sur un rocher, laissé à sec par la mer en se retirant. A mesure que les cadavres étaient recueillis, on les transportait à l’usine Grivard, qui est la plus proche habitation, et on les étendait sur une table où, quelques heures auparavant, les malheureuses victimes travaillaient. Dire le désespoir des parents en reconnaissant, les uns, une, deux filles, les autres une nièce, celui-ci sa femme, serait impossible. L’inhumation a eu lieu hier à Tréboul.

...puis

LA GAZETTE DE CHATEAU - GONTIER 

LA CATASTROPHE DE DOUARNENEZ
20 novembre 1883.
Une épouvantable catastrophe vient d’arriver à Douarnenez. Ayant assisté à ce drame lugubre, je me fais un devoir de vous envoyer des renseignements. 
Hier lundi, vers six heures et demie du soir, les femmes travaillant à la sardinerie Grivart quittaient leur travail. Vingt et une d’entre elles , toutes jeunes filles ou jeunes femmes, qui habitent Tréboul, commune séparée de Douarnenez par un petit bras de mer, vinrent à la cale où se trouve le passeur qui fait le service entre les deux communes. 
La nuit était noire et la mer très grosse. — Je veux bien vous passer, dit le batelier, mais je ferai deux voyages; je ne puis et ne dois vous prendre toutes à la fois ; dans tous les cas , attendez que j’aille manger ma soupe, mais n’embarquez pas sans que je sois là, car, je vous le répète, je ne peux en passer que dix à la fois. 
Et il alla manger sa soupe. Quand il revint, toutes étaient dans le bateau et riaient à qui mieux mieux. Le bonhomme voulut faire débarquer; on lui répondit par des rires et des quolibets. On avait fini la journée, on était content et l’on était pressé de rentrer à la maison. 
Le passeur alors entra dans le bateau pour en faire sortir la moitié de ses joyeuses passagères; au même instant, un coup de ressac violent souleva la barque, arracha l’amarre et entraîna furieusement l’embarcation qui vint se heurter contre une balise et chavira. Une épouvantable clameur déchira le silence de la nuit; la mer bouillonna pendant quelques instants et ce fut tout; la grappe humaine avait disparu. Le batelier, qui avait pu sauter à terre, appela au secours; personne ; pas un bateau, pas un marin en cet endroit désert.
Pourtant les secours arrivèrent et s’organisèrent promptement mais péniblement, car la nuit était noire, la mer était furieuse et le courant à cet endroit est très violent. Une seule femme, qui avait réussi à se cramponner à la balise, fut retirée vivante. Puis, il fallut sonder la mer. Les trois premières femmes que l’on retira de l’eau purent, après des foins inouïs, être rappelées à la vie. Toutes les autres étaient mortes. A mesure que l'on retrouvait ces malheureuses, on les transportait à l'usine Grivart, qui est la plus proche habitation, et on les étendait sur la table où, une heure avant, elles travaillaient en chantant. On leur prodigua tous les soins possibles, inutilement, hélas ! A dix heures et demie, il y avait onze cadavres. J'étais là, jamais je n’oublierai ce spectacle lugubre. Dans cette grande salle d’usine au plafond bas, trois grandes tables de travail de 8 mètres de longueur étaient jonchées de cadavres blêmes. Il y avait là de belles jeunes filles, des jeunes femmes mariées, des mères de famille et de toutes jeunes filles, presque des enfants; deux sœurs étaient étendues côte à cote. Aucune n’avait cette contraction hideuse des traits qu’une longue agonie accroche sur le visage des noyés. Quelques-unes avaient la bouche ouverte et semblaient appeler au secours; d’autres ouvraient les yeux et paraissaient vous regarder comme cherchant à vous reconnaître; beaucoup avaient le visage calme, quelques-unes semblaient dormir. Dans la salle, dans les salles voisines, dans la cour, partout on n’entendait que des sanglots déchirants ; et dehors le vent faisait rage, et la mer, comme n’étant pas encore rassasiée, hurlait en dé ferlant sur la cote ! C’était solennellement lugubre ! Quand on eut terminé les formalités d’usage, on fit entrer les parents. Alors ce qui se passa est indescriptible. Ce furent des cris, des pleurs, des exclamations de douleur à fendre le cœur. Beaucoup d’étrangers étaient présents ; tous pleuraient. A onze heures et demie, on enveloppa les corps dans des linceuls improvisés et on les transporta dans des bateaux qui les conduisirent à Tréboul. Après minuit, on retrouva les corps des six dernières, ce furent de nouvelles scènes douloureuses, et un nouveau chargement de bateaux. Une de celles qu’on avait rappelées à la vie est morte dans la nuit.
Aujourd’hui, on a retrouvé le corps d’un homme, le seul qui était dans la catastrophe. En tout, dix-neuf noyés dont dix-huit femmes ou jeunes filles, et un homme, marié à l'une des victimes. L’inhumation a eu lieu à Tréboul. Le cimetière de Tréboul domine la mer ; c’est bien là la dernière demeure qu'il faut à ces malheureuses et douces victimes de l’aveugle et farouche océan.
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Suit un article "dans un journal de l'époque", un autre récit de ce drame:

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