Blandine "émigrée" mais toujours bretonne...


Beaucoup d'entre nous ont, à un moment de leur vie, "émigré", le temps - pour les plus chanceux - de revenir vivre au pays, d'autres ne revinrent pas et se mirent à vivre "à Rome comme des Romains" comme dit Blandine.
Blandine est originaire du Cap, de Kerscoulet, exactement, elle a émigré au Québec avec sa famille en 1951, elle tient un 
très suivi dont la lecture vous est conseillée, elle a aujourd'hui 94 ans et est en pleine forme!

Le Départ
Gare d'Audierne

Blandine et ses sœurs...il y a bien longtemps

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Nos neuf caisses de bois sont là devant-nous remplies de nos effets personnels, vêtements, vaisselles, enfin tout ce qui nous sera nécessaire pour nous établir dans ce pays lointain et inconnu. Juste un point sur la carte dans le dictionnaire. Tant à Pont-Croix qu'à Quimper nous n'avons pu dénicher une carte du Québec ni du Canada; Ce n'est point en demande nous répondait-on d'une librairie à l'autre. ( vive l'internet d'aujourd'hui)
Nos seules connaissances sont ce que le service d'immigration nous en a dit. En ces années 50 on fait beaucoup de publicité sur le Québec. Travail à l'année. Beaux horaires de travail de 7h30 à 16h. Nous n'avons jamais connu cela. Levés  à l'aube pour soigner les bêtes avant le travail aux champs, puis couchés tard après avoir nourris encore les mêmes animaux.
Le préposé à la gare nous demande d'inscrire  notre adresse de départ et d'arrivée. Adresse de départ? me suis-je entendu dire? mais nous ne sommes plus déjà là? Une légère angoisse m'envahit. Ce soir nous coucherons chez mes parents à Kerscoulet. Nous, c'est-à-dire Pierre et moi, notre petite de 19 mois ainsi que Marguerite 15 ans, la fille de Pierre.
Je regarde la photo du jour du départ! Ma sœur Annette a les yeux rougis. Elle est peinée de voir partir sa première nièce et première petite-enfant de la famille. Je suis partagée  moi aussi entre l'excitation du départ vers ce grand voyage et la tristesse que je lis dans les yeux de maman au moment des adieux.
Ce fut la dernière fois que je la vis! Annette, je la verrai vingt ans plus tard et j'eus de la peine à reconnaître en cette belle  femme de trente neuf ans la jeune fille que j'avais quittée en 1951.
Nos bagages  donc partiront ce jour là d'Audierne direction Cherbourg car il n'y a plus qu'un train ou deux par semaine. Je crois que ce fut la dernière année où les trains circulèrent dans cette gare. Le trafic de marchandises commençait à se faire par route et par gros  camions tandis que les voyageurs circulèrent par autocar.  D'ailleurs ce fut par le car que nous partîmes  de Primelin jusqu'à Quimper et de là en train jusqu'à Paris où nous passâmes une nuit. C'était la toute première fois que je voyais la capitale. Ses immenses gares, ses monuments! Ses rues mouvementées, ses gens pressés. Peu de choses me sont restées en mémoire de cette ville, sauf la rencontre avec ma sœur Céline qui vint nous chercher à notre hôtel et nous pilota jusqu'à la gare du Nord où nous avons pris le train jusqu'à Cherbourg; Là nous attendait le «SS Columbia» navire grec, moitié paquebot, moitié cargo.
Encore un Adieu. Ce fut la dernière fois que je vis Céline. Heureusement que l'avenir nous est caché!....
La traversée!
Partis le 2 décembre de kermaléro, nous sommes arrivés le 12 décembre à Halifax.  De la traversée sur le SS Columbia, j'ai surtout retenue que l'équipage parlait anglais. Pierre avait retenu une cabine en première classe. J' eu le mal de mer les premiers jours jusqu'à ce que j'aille prendre l'air sur le pont. Là, je respirais le bon air, le grand air  salin que je connaissais bien puisque née au bord de la mer. Nous avons essuyé du mauvais temps. La nuit dans nos couchettes étroites, le plus dur c'était le tangage. Je supportais mieux le roulis. Une nuit je fus réveillée par le  saut que je fis. Je me retrouvai en l'air et retombai sur mon lit tellement le navire bougeait et était ballotté.
La nourriture était nouvelle pour moi! on nous servit de la confiture avec la dinde. Je finis par apprendre que c'était des atocas, ce fruit rouge que l'on sert au canada avec certaines viandes.
Je ne participais pas aux évènements à bord. Pierre se mêlait un peu plus que moi aux gens surtout à ceux qui comme nous immigraient. Toute information pouvait être utile à notre vie future. Nous étions attendus par une famille d'Audierne qui avait émigrée un mois avant nous.
A bord il y avait des salles de jeux, un casino ou plusieurs immigrants tentés par l'appât du gain laissaient une partie de leurs avoirs. Nous suivions notre route maritime à l'aide d'une carte affichée dans un salon. En approchant de Terre-Neuve, le temps se rafraichissait et une neige fine tombait. Les gens restaient dans les ponts couverts ou dans les salons. Enfin le douze décembre  au petit-déjeuner une agitation se fit  et tous nous eûmes les yeux fixés sur l'horizon. En même temps les gens criaient: La Terre,la terre!
Au fur et à mesure qu'elle approchait je regardais ces rochers lisses et ronds qui ne ressemblaient guère aux rochers  de la côte bretonne qui sont plutôt des arêtes et des rochers déchiquetés.
Le brouhaha du débarquement à Halifax!
On nous met dans des hangars  en même temps qu'un lot de refugiés venant de l'Europe de l'Est. Nous ne les avions pas vu sur le bateau car ils ne voyageaient pas en première comme nous. Notre curiosité  fut attirée par ces gens. Ils avaient l'air misérables et fatigués épuisés.  D'ailleurs si j'ai ce souvenir c'est parce j'ai vu une femme mourir de faiblesse à cet endroit.
Des réfugiés? dis-je à Pierre mais la guerre est finie depuis longtemps! Sans doute me dis Pierre qui s'informa ici et là ...mais ce sont des gens qui n'ont plus de patrie ayant été déplacés de camps de concentrations en camp de survie. Le canada les accueillait! Depuis combien de temps voyageaient-ils?
On les invite dans les bureaux de la croix rouge ou on leur offre des vêtements ! A nous aussi !d'où ma stupeur ! Je refusais poliment. Nous avons tout ce qu'il nous faut dans nos malles  me suis-entendue répondre. Puis  on nous dirige vers des salles de repos, en attendant  le train qui nous mènera à Montréal et dans lequel nous voyagerons de nuit. D'autres prendront le train pour Toronto ou les États-Unis ...
Notre fille reçue quand même un jouet! un bel éléphant gris aux oreilles roses que nous baptisâmes Colombia  en souvenir du bateau. Il a vécu quelques années jusqu'à ce qu'il tombe en  lambeaux.
Le trajet en train fut pénible. Il était bondé. J'eus quand même le temps d'apercevoir des grandes plaines enneigées sans arbre; Ce devait être des terres à blé. Quelques rares maisons, sauf aux approches des villes où j'eus le plaisir de voir  des arbres de Noël illuminés , des maisons décorés. Je fis la réflexion: Ah! mais ils fêtent Noël tôt ici!  Une année ou deux plus tard ce fut à mon tour de faire mes décorations de Noël au début décembre !
A Rome on fait comme les romains!.

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