PRESTIGE - même modeste - DE DOUARNENEZ EN 1933
Photo article
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Après avoir attiré peintres et poètes à partir du 19ème siècle, les journalistes - suivant le poisson - se sont mis à prendre pension à l'hôtel Verdeler [...du Commerce, rue Jean Jaurès] et pour qui veut plonger dans la presse ancienne, rapidement plusieurs articles - comme celui-ci - s'offrent à lui, tous rédigés à peu près de la même façon, partagés entre consternation devant ces gens arriérés et crasseux et sincère admiration face au courage du marin, à son esprit d'aventure au-delà de la baie de même que la beauté farouche de l'ouvrière d'usine...
Donc article de La Croix du 30 avril 1933 par Paul Declèves qui semble avoir des attaches à Douarnenez, évocation du poète José Maria de Hérédia et de ses charmantes filles...il se trouve qu'un certain photographe n'a pas été indifférent à la beauté de celles-ci, donc ajout de ces photos.
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Tout au bout de la presqu’île armoricaine, au fond d’une vaste calanque qui la protège des vents pluvieux de l’Ouest et du Sud, s’élève une petite ville de pêcheurs, dont le nom se traduit en bon français : « Terre de l'île ». Cette appellation viendrait de ce que, au temps jadis, l’île Tristan, sise face au promontoire où le port se dessine, possédait un monastère fortifié de Chevaliers du Temple, lequel tenait sous sa juridiction toutes les terres du continent proches de la mer, jusques aux baronnies du Juch et de Rosmadec. Le hameau qui se forma dans l’anse voisine du moustier (monastère) fut donc de la terre de l’île : « Douar an Enez ». Depuis, le hameau est devenu bourgade, ville et port de pêche important.
Cette ville, le poète Sully Prud’homme l’a chantée en de jolis vers à peu près inconnus :
On respire du sel dans l’air,
Et la plantureuse campagne
Trempe sa robe dans la mer,
A Douarnenez en Bretagne.
Et véritablement, la merveilleuse verdure de ce coin ensoleillé vient finir au ras des flots, à la base des rochers qui surplombent de vingt toises le havre même de Douarnenez. Quadrilatère ouvert au Sud-Est, le port est ceinturé d’un côté par sa jetée d’un demi-kilomètre de long, où s’érige un phare à feux fixes ; à la base, par ses quais étroits aux embarcadères gluants, et vers l’Ouest, par la haute falaise des Plomarc'h — que tant de peintres célèbres ont illustrée — et qui offre contre les embruns la formidable protection de ses rochers abrupts. Il y a tente ans, le port de Douarnenez était le plus sûr mouillage de toute la côte bretonne, et la flottille innombrable de ses embarcations s’y trouvait à l’aise. On n’y pratiquait guère que la pêche à la sardine, dans de tout petits bateaux non pontés, tels des coques de noix, et qui paraissaient cependant d’assez grande envergure . Puis, au début du XXème siècle, les barques s'amplifièrent, quoique gardant leur forme ancestrale et leurs deux voiles latines : misaine et taillevent. On y mit un pont, et le matelot, durant ses longues randonnées, y trouva un abri plus chaud et des vivres mieux protégés. Il arriva que vers cette époque quelques patrons pêcheurs ayant ouï parler de côtes lointaines où l’on prenait la langouste comme les crabes chez nous, firent construire, sur le modèle des thonniers de Groix, de fortes barques à deux mâts, capables de tenir la mer au large et de supporter les longues traversées.
Sous le pont fortement charpenté, de larges chambres-abris, et des soutes à vivres, dortoirs et cambuses. On ajouta un vivier à claire-voie, laissant, filtrer l’eau de la mer, pour la conservation des crustacés Leur premier départ fut un événement, une manifestation de sympathie de tout le peuple amassé sur les quais- On leur souhaitait bon voyage et bonne pêche ; beaucoup priaient pour eux, les prêtres avaient béni les bateaux. Leur retour fut un triomphe : revenant des côtes du Maroc, ils ramenaient les langoustes par milliers, des langoustes vertes, ce qui excita l’étonnement, celles de la région ayant la carapace rouge. A la cuisson, la couleur devenait la même, et leur chair, délectable, ne différait que peu de celles du pays et n’était seulement sensible qu’aux palais des connaisseurs. Une mine nouvelle venait d’être découverte. Depuis, on est allé plus loin, et la multitude des crustacés rapportés des bords lointains de l’Orient défie tous les calculs. A cause de ces superbes dundees et des barques construites pour la pêche aux thons — le thunnos délicieux des Phéniciens — le port est devenu trop petit. Thonniers et mauritaniens dépassent de la coque et des mâts la jetée minuscule que la marée haute et violente balaye de ses embruns. Le havre de la « Terre-de-l’Ile », qui est devenu le plus grand centre sardinier de France, n'abrite plus qu’à peine, les vaisseaux de haut bord dont s’émerveillent, les anciens manœuvriers des chaloupes d’autrefois- La petite ville s’étage sur les flancs d’une colline descendant vers la mer, et dont le sommet se pare d’une flèche gothique à quadruple clocheton haute de 80 mètres, œuvre, dit-on, des Anglais, aux époques héroïques des rivalités bretonnes de Jean de Montfort et de Jeanne de Penthièvre. Cette flèche, qui domine l’église de Ploaré, s’aperçoit de très loin au large, et sert de repère à tous les navigateurs de ce quartier maritime. Ploaré, au temps jadis, était le doyenné de l’endroit. Douarnenez n’en formait qu’une trêve, où une seule chapelle existait sous le vocable de sainte Hélène. Les fonctionnaires royaux dépendaient de Ploaré, nonobstant que le port de Douarnenez eût déjà un commerce important et des relations avec différents peuples de la chrétienté. La ville s’étage donc sur une colline et sur les pentes seules qui descendent vers la mer, car de l’autre côté, c’est la campagne verdoyante et riche en fertiles prairies-
Du côté de l’océan et sur les deux tiers de l’éminence, les maisons s’alignent, courant toutes vers les deux anses qui se partagent le trafic du pays, et que sépare le promontoire prolongé par l'île Tristan. L’île Tristan, d’idyllique et de sinistre mémoire, rocher fleuri où vé curent, au temps des légendes, Tristan et Yseult; dont plus tard, le ligueur La Fontenelle fit une forteresse capable de mettre en échec les troupes et les vaisseaux du roi. De chaque côté de cette île se trouve un port : le port de commerce et le port de pêche. Le premier, au creux d'un estuaire encaissé entre deux falaises que relie un superbe pont métallique, est le refuge assuré, mais difficile d’accès des caboteurs et des voiliers qui s’en viennent parfois de loin : d’Angleterre avec leurs charbons, de Norvège avec leurs rogues et leurs poteaux de mine. Le second, dans l’anse du Rosmeur, qui est le port de pêche, n’offre plus l’abri sûr d'autrefois aux grandes coques dépassant les quais et les jetées, et qui doivent se réfugier l’hiver, aux époques de morte saison, dans les criques du rivage, où on les laisse nues, dépouillées de leurs agrès, comme de grands oiseaux aux ailes brisées. Car le vent du Nord est terrible, et de les laisser sur leurs ancres serait braver le danger. Livrées à la fureur de l’océan, ces grandes barques pontées, véritables colosses auprès des infimes embarcations des temps écoulés, s’en iraient se briser inévitablement sur les arêtes acérées des rocs qui tapissent les bords de cette baie admirable. Admirable, en effet, avec, à l’Est, ses plages immenses que peignait Lansyer, et dont Hérédia disait qu’on y voyait réfléchir...
Le ciel occidental dans le miroir des sables.
Côte basse et débordante de dunes, couronnée par le pic imposant du Ménez-Hom — qui, petit Vésuve, ferait de Douarnenez la Naples du Nord — ses falaises se couvrent de pins et d’ajoncs d’or, se creusent de grottes innombrables où l’eau suinte en limpides gouttelettes, de failles où l’on découvre des paysages qui offrent à l’amateur de belle nature un régal sans pareil. Oh! les courses sans fin, à basse mer, au temps de notre jeunesse folle, sur ces sables qui semblaient un désert, humides et frais au clair matin, trépidants de chaleur au mitan des longues journées d’été...
A Douarnenez, en Bretagne Les enfants rôdent par troupeaux;
Ils ont les pieds tins, les yeux beaux,
Et sainte Anne les accompagne.
Ces longues grèves que toujours un ruisseau traverse, qui met son ruban d’argent sur le jaune d’or des arènes, s’arrêtent net au pied de rocs abrupts, tantôt visqueux des goémons accrochés à leurs flancs ou rouges comme de la lave pétrifiée, friables encore et se prêtant à l’inscription des noms et des dates de passage ; tantôt secs et gris, avec à leur sommet des touffes de landes vertes et. dans leurs anfractuosités des larmes transparentes de cristal que l’on recueille précieusement et qui restent un souvenir de l’éclatant voyage. Entre elles, des promontoires s’avancent vers les flots et abritent dans leurs replis des maisons de campagne ou des colonies de vacances. Sur l’un d’eux se dresse un grand Christ de granit que de gentils écoliers parisiens ont élevé, en mémoire de leurs morts, pour la protection des marins et de leur passagère demeure. Au delà, c’est Sainte - Anne - la - Palud, la bonne grand’mère de Bretagne, où viennent prier les foules aux jours de Pardon
A l’Ouest, les grèves sont petites tapissées de galets que les vagues ont roulés et polis, au bas des falaises infranchissables, noires et visqueuses, où foisonnent les anatifes, mollusques immondes qui semblent de petits doigts crochus. Par là on atteint la pointe du Raz et la baie des Trépassés, de lugubre mémoire. Puis
L’océan qui, splendide et monstrueux, arrose
Du sel vert de ses eaux les caps de granit noir.
Sur ses bords, Ys, la voluptueuse, est, dit-on, ensevelie et ne reparaîtra que le jour où, dans l’église perdue sous les eaux, quelque pauvre naufragé, dont l’âme, à son retour à la surface, est recueillie par les goélands plaintifs, répondra au prêtre qui célèbre interminablement sa messe inachevée le doux mot que le Sauveur aimait à répandre autour de lui : « Ainsi soit-il » Entre ces deux côtes si différentes d’aspect, l’une pleine de soleil et de verdure, l’autre noire et sombre comme le deuil des veuves des péris en mer, la ville de Douarnenez s’étale derrière l’île où vécut la mélancolique Yseult. Et la ville n’est pas belle, avec ses toits zigzaguants et ses rues tortueuses qui descendent toutes vers la mer, attirées sans doute par son charme, comme le sont les légions d’enfantelets qui y grouillent. Mais le pêcheur y trouve son plaisir et sa vie, vie pauvre, mais combien magnifique et enfiévrée i Sully-Prud’homme y a vécu, et avec lui Coppée, André Theuriet, Hérédia, et les bons peintres Cottet et Lansyer. La bonne hostellerie du Norvégien Védeler était accueillante. Pour eux, ^et ces futurs grands hommes trouvaient chez deux vieilles et lettrées demoiselles du pays le dernier salon où l’on cause. Hérédia, somptueux touriste, que l’on prenait, avec son teint olivâtre et sa barbe noire, dans un complet de flanelle blanche, pour un prince hindou, promenait sa haute et belle figure par les grèves et par les monts, en compagnie de ses deux filles, que le bon peuple admirait comme on admire des Madones de vitrail. Si belles que les matrones se retournaient sur leur passage, elles qui reconnaissaient pourtant à leur progéniture la beauté mâle de Velléda ou la grâce perverse de la fille de Gradlon. On les aimait d’instinct, parce que leur sympathie pour nous se sentait, et qu’on les voyait revenir chaque année, le poète surtout, qui nous donnait l’impression d’un rajah fatigué d’Indou ou d’Haiderabad. Et nous, les gosses, nous suivions de loin le groupe charmant, respectueusement, pour le regarder encore. Notre terre, il l’a chantée amoureusement, comme une terre de parfum et de soleil : Tandis que Je la terre une brise emmiellée éparpillait au gré de leur ivresse ailée Sur l’océan fleuri des vols de papillons. Pour ceux qui l’ont connu, et qui n’ont rien su — et pour cause — de son œuvre, Hérédia est resté le type de l’étranger qui s’attache à un coin de pays parce qu’il le trouve beau et en aime les habitants. Nous aurions dû lui élever une statue à cet endroit dont il a écrit : La mer sans fin commence où la terre finit. Et les autres : Theuriet, qui y paracheva sa Petite Dernière, en buvant de grands bols de cidre à la taverne norvégienne; Cottet, qui peignit les Pardons; Lansyer, qui fixa sur ses toiles la mer, les sables et les rochers ; Sully-Prud’homme, dont le joli poème suffirait seul à la gloire de la ville des sardiniers.
A Douarnenez, en Bretagne
Quand les pêcheurs vont de l’avant
Les voiles brunes fuient au vent
Comme hirondelles en campagne.
Paul Declève.