...A LIRE AVEC L'ACCENT....CINQ DOUARNENISTES...PAS MOINSSE!

Photo d'accompagnement
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- Vous savez, je suis catholique, moi! me dit Madame B. en regardant son fils d'un air farouche. 

La sœur religieuse venait de sortir en ayant laissé à Mme B., comme chaque semaine, un bouquet composé des fleurs de l'autel de l'église du Sacré-Cœur offertes, qui sait, pour un mariage, un baptême...ou pour un enterrement. 

- Eh bien moi, je ne le suis plus et la bonne sœur, elle, le sait, il n'y a que les profiteurs qui sont aujourd'hui cathos, regarde...toi, tu profites de fleurs qui ont sûrement servi pour un enterrement! 

- Oh, laissez-le parler, le jour de sa mort, il sera le premier à vouloir passer par l'église! 

Et nous tous de rire en bons complices. 

Mme B et son fils avaient tenu à m'inviter à l'apéritif; la succession de la sœur de Mme B. venait d'être réglée, tout à fait à leur avantage mais sans que çà les enrichisse vraiment pour autant, ils étaient contents de l'appartement du bas, les rendant ainsi propriétaires de toute la maison où nous étions et de l'argent de la Caisse d'Epargne qui servirait à repeindre les volets! 

- Whisky, ricard, porto? où t'as mis les petits gâteaux, m'an? je suis sûr que t'as pas acheté de gâteaux? 

- Des cacahuètes au fond du placard! vous croyez peut-être que je ne sais plus recevoir? 

B. revient de l'autre pièce avec une bouteille de Chivas encore dans son coffret "vieil argent". 

- Du meilleur, dis-je, alors pas de Perrier, pas de glaçons! 
- Connaisseur, hein! et il y a encore du meilleur mais çà n'est pas en vente en France; au passage, il me rappelait que, ancien marin de commerce, il connaissait tous les ports et tous les alcools du monde. 

- Un petit cinquante pour commencer... 

- (?) 

Madame a sorti de la vitrine de son buffet, trois beaux verres rose de son service et s'est mise à les essuyer soigneusement avec un torchon immaculé. 

- Et pour toi, mémère, le petit Frontignan du dimanche, comme d'habitude, ton petit vin de messe! 

- Ah! celui-ci n'arrête pas de me charrier, me dit-elle, en découpant au ciseau le sachet de cacahuètes et en les versant dans une soucoupe assortie aux verres. 

Un petit silence s'installa, comme souvent, un ange n'était pas loin de passer et puis les plaisanteries les plus courtes ne sont-elles pas les meilleures? 

- Et votre tortue, toujours les pleins pouvoirs dans votre jardin (elle venait de cesser son hibernation et de sortir de son "terrier")? 

Je faisais diversion à la satisfaction générale et indiquais par là que je donnais à M. B. le signal qu'il pouvait à nouveau se lancer dans ses souvenirs de marin. 

En préambule, en chapeau, il racontait son histoire de tortue, toujours la même, aux exclamations et ponctuations toujours identiques, ensuite, son histoire prenait une chemin de traverse et, aujourd'hui, nous connaîtrions un épisode de sa vie militaire... 

- "...nous avions passé un mois de classes à Pont-Péant, un vrai trou du côté de Rennes, bref, des marins chez les paysans... mon premier embarquement a été sur le "Croix de Lorraine" avec un vieux pacha, je vous parlerai de lui, tout à l'heure...Bon, direction Casablanca mais une sacrée tempête nous attendait dans le Golfe de Gascogne, le bateau était un vrai bouchon, tout l'équipage, les officiers les premiers, rendait les boyaux...sauf dix hommes, dont sept Douarnenistes!!! On s'est tous relayé de quart en quart jusqu'au Portugal et j'aime autant vous dire qu'à la fin je savais que j'avais des muscles tant ils me faisaient mal. Bon, je passe sur la fin de la traversée et la mine de pas mal qui portaient sur leur vareuse "marin d'eau douce!". 

Arrivés à Casa, incroyable!, trois mauritaniens douarnenistes à quai, en ravitaillement sans doute avant de rejoindre la banc d'Arguin...les sept douarnenistes, vous pensez bien, se sont retrouvés pour dire ensemble "nous allons aller!". 

A bord, il y avait trois groupes, le groupe de service, celui de corvée et celui de sortie; quand il n'y avait pas de corvée, les deux tiers du bateau sortaient. 

A cinq nous sommes descendus et, croyez-moi, une folle nuit a commencé...pas à terre comme tous nos copains mais sur les bateaux douarnenistes! Ricard, vin rouge, vin rosé, à manger à ne plus pouvoir, à rire, à la fin à pleurer parce que...on commençait à parler du pays et çà devenait mauvais...c'est alors que des femmes sont montés à bord; je ne vous raconterai pas toutes nos fredaines parce que ma mère est là toute aussi catholique que tout à l'heure, mais vous êtes jeune et bien constitué alors (en clignant de l'œil) 

je ne vous fais de dessin! on oubliait tout, le pays où nous étions, l'uniforme que nous portions, nos nez devenaient aussi écarlates que nos pompons et pas un pour dire qu'il faudrait peut-être rentrer! 

Finalement, c'est moi qui me suis rendu compte, je tenais encore debout, je mis du temps à retrouver mon béret qui était dans les mains de Mme Aïcha, tout çà devait avoir une fin, je sentais quand même dans ma tête que tout n'était pas à poste. 

Les cinq douarnenistes n'étaient pas dans le même état que dans le golfe de Gascogne, vous pouvez me croire! j'ai du porter un de mes acolytes sur le dos et çà n'était pas le plus maigre, j'ai du le porter au moins sur cinq cent mètres de quai comme çà (et de prendre le bouquet béni de glaïeuls pour figurer le quai en question) pour arriver...nez à nez avec l'officier de service, juste celui qu'il fallait pas! 

Je ne vous dis quand vous pourrez ressortir! se mit à rugir le galonné. 

Alors, la colère m'a pris, tout en ayant encore mon corps sur le dos. 

- Alors, on est de quart ce soir? y avait pas grand monde pourtant sur le pont dans le golfe! 

C'est vrai, quoi! on fait Navale et on s'aplatit dans sa couchette à la première risée. 

Après, je ne sais plus très bien ce qui s'est passé, je pensais même pas me soulager de mon lascard...je me souviens seulement que le pacha est arrivé avec un sourire quelque part sur ses lèvres qui m'a mis en confiance. 

- Allons, allons, laissons ces jeunes aller cuver leur vin dans leur banette et demain on en reparlera. 

L'officier était prêt de protester quand, voyant çà, me voilà reparti à dire haut et fort que, sans les douarnenistes, le bateau aurait été perdu corps et biens et qu'on ferait bien de se le rappeler pour le cas où une autre tempête surviendrait! 

Le pacha aurait pu mal prendre parce que je mettais son autorité en question, en fait, je ne savais pas où il était pendant la tempête mais pour moi, pour l'alcoolique que j'étais, il y avait eu abandon général de poste. 

J'ai eu trois jours, c'est juste ce qu'il faut pour tirer gloire, c'est juste ce qu'il faut pour connaître toutes les chiottes d'un navire pour n'avoir pas la nausée! 

Les bateaux douarnenistes étaient repartis avec un peu d'inquiétude sur notre sort. Bien après, revenus tous à Douarnenez, on en a parlé et reparlé, les mousmés bien grasses devenaient des mannequins de chez Dior, le vin du Maroc valait n'importe quel château, bref, le rêve était en train d'effacer la réalité! ah! oui, je vois encore la face de l'officier, celui-là, je pouvais pas le voir, le pacha, lui, c'était un bon vieux, il avait pas été clair pendant la guerre mais c'était pas un politique, c'était avant tout un marin, oui...ouais..." 

Bref, l'histoire commençait à s'effilocher et, semble-t-il, même le rêve s'estompait. 

- Ah, tu nous embêtes avec toutes tes histoires, à savoir même si elles sont vraies! 

Je profitai de la dispute qui commençait entre mère et fils qui, çà se voyait bien, s'adoraient, je leur serrai les mains, non, non, pas de troisième cinquante, je supporte pas l'alcool (mensonge!), à bientôt, on aura l'occasion, j'étais déjà dans l'escalier…décidément, qu'il était bien bon de vivre et travailler à Douarnenez.