1937 | HUIT MOIS MARIES...PUIS LE NAUFRAGE.


Encore un naufrage!!! direz-vous??? Aujourd'hui, à Douarnenez, le naufrage est d'une angoisse moindre, Dieu merci, cette peur au ventre quand le marin quittait le port ou quand l'épouse ou la mère rejoignait le foyer.

Mais ce naufrage, je me dois de le raconter, j'en connaissais l'existence depuis longtemps - bien avant d'arriver à Douarnenez - mais seulement par bribes, des bribes que personne ne voulait développer...trop de douleur.

Et puis la presse ancienne si accessible aujourd'hui a fourni les détails dans toute leur cruauté, alors voilà....

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Nous sommes le 3 ou le 4 janvier 1937...'article retranscrit d'Ouest-Éclair....


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PENDANT QU'ILS RELEVAIENT LEURS FILETS, TROIS HOMMES DU DUNDEE "SORNARD" DE DOUARNENEZ, SONT ENLEVÉS PAR UNE LAME: UN SEUL CADAVRE A ÉTÉ RETROUVÉ PAR LES SAUVETEURS

Douarnenez, le 5 janvier (de notre correspondant)

Depuis la fin de la pêche aux sprats, la pêche à la sardine profonde donne de bons résultats et lundi, dans l'après-midi, un canot annexe du dundee Sornard, immatriculé sous le n° 2574 à Douarnenez, monté par trois hommes,


le patron, Laurent Garrec, âgé de 44 ans,
son beau-père, Yves Mens, âgé de 68 ans
et Joseph Mens, 30 ans, fils du précédent,


prenaitent la mer pour aller vers le Ris mouiller ses filets à sardines. La mer était assez calme et le ressac faible, aussi nos hommes s'aventurèrent-ils assez près de la plage.
Hier matin, mardi, ils quittaient leurs domiciles à 6 h. 30 pour aller les relever, mais dans le courant de la nuit, une tempête se déclencha et le ressac augmenta sérieusement. Pour relever leurs filets, les pécheurs durent aller en plein dans les brisants. Non loin d'eux se trouvait un autre canot armé par M. Alain Chevalier, qui était accompagné de M. Laurent Garrec, père.

Vers 8 heures, ce dernier constatait tout-à-coup la disparition du canot 2574. Le doute n'était plus possible il avait été pris dans les vagues et l'une d'elles, plus forte que les autres, avait dû chavirer la frêle embarcation, projetant à la mer les trois occupants.

Ne pouvant leur porter secours, M. Chevalier et M. Garrec, lâchant leurs filets, revinrent bien vite vers le port où ils donnèrent l'alarme.

Plusieurs marins embarquèrent aussitôt dans la voiture de M. Gourlaouen, mareyeur, pour se rendre à la plage du Ris, où l'on espérait trouver les naufragés et leur porter secours. Hélas, on devait constater qu'aucun n'avait pu regagner la rive et il ne restait plus qu'à effectuer des recherches.


LES RECHERCHES


Des cultivateurs employés à charger leurs tombereaux de sable sur la plage ne s'étaient aperçus de rien. Dans les vagues, ils eurent vite fait de repérer le canot, la quille renversée. Les filets flottaient également autour de l'épave. De la falaise, M. Alexis Laurent. mareyeur, qui s'était rendu également sur les lieux, aperçut une masse sombre flottant entre deux eaux. Sans perdre un instant, il descendit sur la plage et s'élança tout habillé à la mer et réussit à ramener sur le rivage un des infortunés pêcheurs. Les témoins vinrent lui apporter de l'aide et. après avoir sorti le corps de l'eau, s'empressèrent de pratiquer les tractions habituelles, cependant que M. Fabre faisait appeler le docteur Leroy, qui arrivait rapidement sur place. Malheureusement tous les soins étaient inutiles. Il s'agissait de M. Yves Mens et la mort avait fait son oeuvre. Les recherches continuèrent et plusieurs personnes n'hésitèrent pas à se lancer dans les vagues aussitôt qu'on crut apercevoir quelque chose d'anormal. mais toutes les recherches restèrent vaines.

Le corps de M. Mens fut ramené à son domicile par la voiture ambulance municipale, après que les constatations eurent été faites par les gendarmes Fravallo et Le Gall, de la brigade de Douarnenez.

Toute la journée, les recherches ont continué sans aucun résultat. A marée descendante, le canot a pu être ramené à l'abri. L'espoir de retrouver les cadavres sous le canot renversé a été vain. M. Laurent Garrec. père de l'une des victimes, s'était rendu à la plage et participait aux recherches. Sa douleur faisait peine à voir.

En cette tragique circonstance, qui laisse trois veuves. L'Ouest-Eclair adresse aux familles ses plus vives condoléances.


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Puis trois articles de la Dépêche de Brest...


On découvre le corps de M. Laurent Garrec


Ce matin, un jeune homme du Ris, M. Hervé Riou, qui explorait la plage a découvert le corps de M. Laurent Garrec, victime du naufrage que nous avons signalé.
Il reposait à quelques mètres seulement de l'endroit où fut trouvé le cadavre de son beau-père, M. Mens.
L'ambulance municipale a ramené à Douarnenez la dépouille du patron du Sornard.
Laurent Garrec portait tous ses vêtements et son ciré. Ces vêtements étaient chargés de sable. Sa montre était arrêtée sur 10 heures ; renfermée dans un gousset de cuir elle a continué de marcher une grande heure après le
drame.
A cette heure, deux naufragés reposent dans la petite chambre de Mme Mens: le père est à gauche le gendre est étendu sur le lit de droite, son visage porte les traces de ses souffrances, son front est barré d'une large bande brune, indice de chocs réitérés contre le fond de la mer.
Dans l'humble demeure, une foule de femmes prient et sanglotent, prenant une large part au chagrin infini des veuves et de leurs enfants. Un à un, les hommes de l'équipage du Sornard défilent en pleurant devant les dépouilles mortelles.
Le maire de Douarnenez et son premier adjoint les ont saluées et ont offert leurs condoléances les plus émues à
Quel spectacle ! quelle douleur ! leurs familles
Les obsèques du père qui devaient avoir lieu cet après-midi ont été reportées à demain. Les deux cercueils prendront à la même heure le chemin du cimetière.


Les obsèques de Yves Mens et de Laurent Garrec


Une foule immense, comprenant plusieurs milliers de personnes, a conduit, hier, à leur dernière demeure, le malheureux Yves Mens et son gendre, Laurent Garrec, victimes du naufrage du canot Le Sornard .
Dans les circonstances tragiques qui, hélas, se renouvellent trop souvent, notre cité maritime tout entière prend le deuil. C'est émouvant et beau.
La Dépêche joint ses condoléances à celles de la population douarneniste et forme l'espoir que sera sous peu retrouvé le corps de Joseph Mens, seul manquant de la catastrophe.
Les deux corbillards étaient précédés du drapeau des Anciens combattants.
Par sentiment de sympathie et d'affliction, la municipalité avait fait mettre en berne le drapeau de l'hôtel de ville.


Le corps de la troisième victime du naufrage du canot annexe du « Sornard » est retrouvé


Hier matin, vers 7H30, Henri Hélias et Eugène Belbéoch,[oncles de la jeune veuve] occupés sur la côte à la recherche du corps de Joseph Mens, la troisième victime de la catastrophe maritime du Sornard, ont découvert le noyé non loin du Goret, à 300 mètres environ de l'endroit où furent trouvés son père et son beau-frère.
Joseph Mens reposait tout près des rochers; il portait ses vêtements, sauf son paletot et ses chaussures. Son visage était marqué de quelques ecchymoses.
Le maire de Ploaré et son adjoint, prévenus, ont fait les constatations en même temps que le commissaire de police de Douarnenez et la gendarmerie.
L'ambulance de Douarnenez est venue chercher le corps et l'a transporté à l'hospice, où il a été mis en bière avant d'être déposé à son domicile, rue des Marsouins.
Les obsèques de Joseph Mens, marié, depuis quelques mois seulement, auront lieu aujourd'hui mardi, à 15 heures. Nous adressons nos sentiments de vive sympathie à son épouse et à sa famille.


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Joseph était marié depuis huit mois seulement avec Julienne Savina; cette jeune femme retourna vivre avec sa mère, retourna à l'usine, devint plus tard contremaîtresse à la Biscuiterie de Bretagne et mourut à 80 ans en 1992, elle ne se remaria pas.










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