LE DIMANCHE | LA MESSE & LE JEU DE BOULES

DEYROLLE Théophile - Jeu de boules




LE JEU DE BOULES DU DIMANCHE



Sur la paroisse de Locquénin, il y avait des jeux de boules un peu partout: à Kerpotence, au "chant du coq", peut-être au Passage-Neuf, au Beau Rivage, à Kervarlay, chez Geuny, au Vieux Passage, au "ballon" chez ma tante Marianne Le Leuch - Tuffigo, à Ker Hélène chez Adolphe Jouannic, à Ty Glaz chez Thérèse Kerneur, Au Magoir, le café Guéguen à l'entrée? - et autres, peut-être ? puis celui que je connaissais le plus, chez "tonton" Edouard Jégo à Toul Chikan, en face de chez moi. Un groupe de joueurs pouvait se retrouver en semaine mais c'était le dimanche après-midi que ce jeu se pratiquait, disons vers les trois heures: ils étaient paysans, marins, autres, retraités, je les voyais arriver à pied, à leur rythme de marcheur, seul ou à deux ou trois, conversation en breton, bien entendu. La rencontre n'était pas, disons, chaleureuse, pas de manifestation de joie comme aujourd'hui, mais, visiblement, chacun se trouvait bien là et avait attendu les deux à trois heures à venir. Quand tout le monde était là, entrée dans la salle de café pour un premier rafraîchissement servi par la “tantine” Jeanne, le temps de former les deux équipes et de se dire les nouvelles de la paroisse. Sortie, toujours calme, chacun passait dans la réserve bordant la cour pour choisir ses boules, en bois ou en ciment [?] très dur, les soupesant bien pour les jauger.

Les équipes se désaltèrent au bistrot...

Ici, je m'arrête un instant: je ne me souviens que de l'ambiance qui existait, je peux me tromper sur la technique du jeu, aussi excuses à l'avance et les rectifications sont les bienvenues.

Une fois les deux équipes sur le "jeu", il se passait quelque chose pour savoir qui jouerait en premier: s'agissait-il d'un premier jeu à un coup de chaque côté, le plus près du "petit" pouvant commencer la partie, disons que c'était comme çà. Le sol du jeu de boules semblait être d'argile et de sable tassé comme une aire à battre, il était sensé être lisse mais les pluies ravinaient et laissaient de minuscules sillons, propices à des déviations de la boule que les malins ne manquaient pas de repérer en début de partie. A vue de nez, le jeu avait une vingtaine de mètres de longueur, bordé de deux ou trois poteaux de bois verticaux calés, genre vieux mât de dundee ou de poteau électrique et et trois à quatre mètres de largeur, chaque côté ayant un panneau de bois sur lequel on pouvait "poser ses fesses" en attendant de jouer. Les spectateurs, cinq/six personnes, plus les enfants du quartier étaient autour et pas question de bouger, de jouer, de crier...il ne fallait pas perturber la sérénité du jeu! La partie commençait après avoir tracé la ligne à ne pas dépasser: en général, priorité au vétéran, le plus vieux, sans doute; il se baissait, posait sa boule par terre, réfléchissait puis, sans regarder, lançait "main rentrée" sa boule qui se plaçait...là où elle finissait! content, pas content, premiers ricanements ou inquiétudes...L'adversaire, lui, est plus jeune, plus vaillant, il reste accroupi, il ne pose pas sa boule...il vise! sa boule contourne la première et vient la narguer plus près du petit; si c'est vraiment près, y a de quoi énerver et le tireur adverse est requis: les tireurs sont plus recherchés que les placeurs, c'est une élite, quoi, aussi celui-ci écarte tout le monde, il faut qu'il ait de la place...lui aussi réfléchit, ils disent qu'ils font le trajet de la boule dans leur tête, donc silence...bon, à un moment il faut bien qu'il tire, il tire et là, soyons gentils, il "poke" il envoie dans un fracas la boule gagnante dans les tréfonds du jeu, élévation des voix, ronchonnements de félicitation. L'équipe déchue se reprend, on appelle l'autre placeur, par définition, plus jeune: il reste debout, à peine cambré, il s'élance à un-deux mètres "main ouverte", il choisit de faire la bande, de cogner contre le bord du jeu pour faire un angle, il suit la trajectoire de sa boule avec force grimaces, torsions frisant le torticolis, bras droits complètement désarticulé, lui aussi est avec sa boule, il l'accompagne en la choyant ou commençant déjà les reproches, non, elle se place bien, allez à dix centimètres du petit, un peu "ber" quand même. L'autre équipe réagit mais cette fois, c'est un autre placeur qui s'aligne: même chose après avoir essuyé la boule avec un vieux mouchoir de Cholet et, peut-être, mêmes grimaces ou alors encouragements verbaux comme s'il parlait à son cheval, bref, la boule fait pareil que la précédente...et là, comme un chœur, tous s'avancent pour juger et pour jauger: c'est la nôtre, mais non "hou sell mat" que c'est la nôtre!! on cherche la tige, la petite baguette de je ne sais quoi pour mesurer, on mesure, quand c'est juste-juste, çà peut durer deux à trois minutes avec propos plus que légèrement mensongers à la clé. Puis chacun épuise ses trois [?] boules, l'équipe qui a marqué le plus, commence à l'inverse du terrain et ainsi de suite jusqu'à ce que l'équipe gagnante atteigne 11 ou 12 [?].La partie est terminée...deuxième, troisième et d’autres rafraîchissements [par chopines de vin rouge]; pendant ce temps, les gosses s'emparent des boules - un peu lourdes, quand même - et se dépêchent de jouer à leur manière, les spectateurs adultes n'ayant pas manqué de rejoindre les joueurs ...sans doute pour les encourager! Voilà et ainsi de suite, ainsi va se passer l'après midi des paroissiens, ils seront bien ensemble, ils auront fait marcher le commerce, ils rentreront un peu "meue", leurs "bonfemme ker" seront tolérantes parce que ce sont de bons maris et ce....jusqu'à la semaine prochaine!
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Glazicks
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Sébastien GIRAUD

Charles HOMUALK
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