UNE MARÉE DE PASSAGER


Ha, faire sa première marée comme passager, être enfin un homme à 11 ans avec sa vareuse toute neuve faite par sa grand-mère [j'aurais préféré qu'elle soit rapiécée comme celle des "vieux" mais...], arracher le consentement de ses parents...puis le départ sur le "Nicolazic" de mon cousin, Lucien Tuffigo; petit cafard quand même en longeant la côte.

Une couchette m'avait été attribuée, avec une boîte de conserve vide...au cas où...çà remuerait un peu de trop!

Je ne me souviens pas quand le bateau a commencé à pêcher mais, les premières fois, j'étais épouvanté par les risques que prenaient les matelots quand le poisson était déversé sur le pont et que l'étripage commençait, ils étaient constamment en déséquilibre et pas question pour moi de sortir de la passerelle où j'étais confiné dans le poste radio/gonio/decca et les cartes.

Le bateau a du s'arrêter à Newlyn [Penzance], je suis sorti faire un tour avec l'équipage et, à la fin, toute la "bigaille" des shillings a été réunie pour m'acheter des bonbons et des chocolats "anglais" affreusement sucrés; en sortant du port, çà a commencé à secouer fort et ma boite de conserve n'a pas tardé à servir, les produits chocolatés n'ont pas pris le temps de se digérer! Mon premier mal de mer et le seul de la marée.

Après ce coup de vent [pour moi, une tempête, à peine un 10H10 de roulis pour mon cousin], le temps est resté calme, calme plat même, j'ai alors pu descendre sur le pont et commencé à travailler comme un grand: étripage avec un vieux couteau, remplissage des caisses, descente à la cale pour couvrir de glace, c'était grisant, évidemment, je me promettais de devenir marin plus tard.


Nous sommes restés au sud de l'île de Man, je me souviens d'un îlot qui ressemblait à un sous marin, la mer était d'huile: l'équipage a commencé à parler d'un fricot de dindins [?], on me demanda donc de me cacher le plus possible sous la lisse pour pouvoir attraper les goélands appâtés par la "bouête", je les prenais par le cou et un homme faisait le "couic" fatal, ce fricot, je l'ai mangé et je ne me souviens pas que c'était si mauvais que çà!.

Le retour se passa avec déjà de la nostalgie, je crois que le bateau avait pêché quelques langoustes, disons, aux alentours d'Ouessant, qui furent ajoutées à la godaille posée sur le linge sale dans le panier.

Au retour, pas question de ne pas débarquer le poisson à Kéroman, le taxi était venu me prendre malgré le refus de ma mère affolée par l'état de mes mains, pour moi commençait ma vraie vie de marin, ne sachant pas encore que çà serait la seule marée de ma vie!

Je joins une photo du "Clair Matin" qui, je crois, était sister ship du "Nicolazic" [photos empruntées à ETEL 1958-1968, Association Autrefois Etel]