DOUARNENEZ | LE PÊCHEUR DE CHEVRETTES Mauvais conte paru en mai 1922... par quelqu'un de bien renseigné.




...et toujours la famille au départ du bateau....

Îlot du Coulinec
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L'article étant quasiment illisible, j'ai utilisé l'OCR de Gallica qui date de Mathusalmen, remerciez-moi...une vraie corvée mais, me répondrez-vous, je ne suis pas obligé de la faire!

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LE PÊCHEUR DE CHEVRETTES

Ce jour-là, dit Le Bihan, le vent avait commencé à fraîchir à La marée de quatre heures ; la mer devenait grise, le ciel se brouillait et les sardiniers qui péchaient autour des Tas-de-Pois et sous la pointe de la Chèvre avaient ramassé leurs filets et rentraient dans la baie. Le vent qui avait soufflé ouest, puis nord-est, tournait franchement est et amenait un sale orage. Vers six heures, les patrons et leurs hommes doublèrent les amarres des bateaux mouillés au port, au Guet et derrière la digue de Tréboul ; avec ce vent-là, il f aut rien pour que les bateaux soient foutus à la côte. Dans le mois d'août, ce sont les orages comme ça qui sont le plus à craindre, ils arrivent par Châteaulin, se déchirent sur le Menez-Hom et vous balaient la baie, de la grève de Sainte-Anne à la pointe de Beuzec... Mais je ne vais pas vous raconter des histoires de mauvais courants et des cailloux qu'il faut éviter quand on tire des bordées pour arriver à rentrer dans le Port-Rhu...'

« L'histoire, c'est celle de Tréguellec et de son gars. Il faut dire que, l'été, Tréguellec gagnait bien sa vie à pêcher la chevrette, c'est-à-dire du bouquet, de la crevette rose grosse comme un doigt. Il avait ses casiers qui puaient à une lieue et qu'il allait poser tous les soirs autour du Coulinec, un gros bête ? de rocher sur lequel un sardinier, dans le temps jadis, a fait construire un kiosque où il allait jouer à la manille avec ses amis, en buvant de la goutte.

Il avait trouvé ça, cet homme, parce qu'on dit que sa bourgeoise le relançait partout dans les cafés de Tréboul et

de Douarnenez et que là il était sûr qu'elle ne viendrait, pas l'embêter. Mais c'est un détail qui n'a rien à voir.

« Donc, mon Tréguellec allait dans ces côtés-là tous les soirs, près des barques qui étaient mouillées sous le rocher en attendant le jour pour partir. Comme je vous l'ai dit, il gagnait de d'argent gros comme lui, parce qu'il vendait ses chevrettes aux étrangers, jusqu'à un sou le brin, ni plus ni moins, et qu'il en profitait pour boire dans tous les débits, en mettant des sous dans les musiques, histoire de se distraire :

« Le Picon qu'il rejetait, c'est l' café du Breton ! » C'était point un mauvais homme. Il avait quatre fils et deux filles : l'aîné était au long cours, sur un bateau du Havre ; le second faisait son congé sur un transport de l'Etat ; le troisième était avec les petits maquereaux sur une barque de Camaret ; enfin Ambroise, le dernier, qui n'avait pas treize ans, était avec lui, pour l'aider, en attendant qu'il eût l'âge d'embarquer comme mousse. Les filles, j'en parlerai seulement pour vous dire que l'une était en condition chez Mme Ralu, la mercière de la rue Jean-Bart, et l'autre, qui avait été fréteuse, était partie à Paris avec un propre à rien de ferblantier sans qu'on sache au juste si elle avait bien tourné ou non. Quant à Mme Tréguellec,

c'était, bien sûr, la meilleure femme de Tréboul-Goz. qui avait bien élevé toute sa famille ; elle était propre comme pas une et soigneuse et courageuse, et Tréguellec qui, quand il était saoul se foutait en colère, ne la battait jamais trop, parce qu'il savait bien, dans le fond, qu'elle ne le méritait pas...

« Donc voilà que, le soir que je vous dis, où tout le monde s'attendait à un sale coup de chien, mon Tréguellec, qui sortait de chez Le Floch, remonta en chaloupant la petite rue pour monter au moulin, près duquel il demeurait; il héla le petiot qui commençait à dormir, la tète appuyée sur la table, sur ses deux bras croisés.

— Bien sûr que tu ne vas pas sortir à c' soir, mon homme ? dit Mme Tréguellec, qui avait entendu parler du mauvais temps en allant quérir de l'eau. à la fontaine.

Mais son mari, qui avait son idée, lui répondit :
« — Pourquoi donc que je ne sortirais pas ?
« — Tu ne veux point sortir quand tous les autres rentrent !
« — Les autres et moi, ça fait deux.
« Il avait bu, que je vous ai dit, et allez donc discuter avec un homme qui a bu.
Mme Tréguellec, qui savait bien comme il était, leva les yeux au ciel et fit un signe de croix...
« Le gosse, mal réveillé, partit en trottinant; le père, derrière lui, faisait rouler les cailloux du chemin sous ses sabots.
« Chez nous, monsieur, chacun est libre.

Quand les autres, qui étaient sur le port, à la nuit qui tombait, virent Tréguellec embarquer dans son petit bateau noir, ils ne dirent rien, parce que ça ne les regardait pas. Il ne s'agissait pas d'une bien longue navigation, pour aller de la digue au Coulinec, et Tréguellec, d'ailleurs, s'y connaissait au temps et à la mer aussi bien comme tout un chacun. Ils le virent haler sa petite ancre, donner une tape au petit qu'un coup de vague avait jeté dans ses jambes et, les deux mains nouées à l'aviron, partir en godillant comme il faisait tous les soirs.

« A peine sorti, il trouva de la lame tout de suite et le petit bateau eut bien du mal à taper dedans, d'autant qu'il était pris par le travers et qu'à-chaque coup il manquait d'embarquer. Bien sûr qu'il aurait dû rentrer, mais il avait dans la tête de pêcher cette nuit-là comme les autres et tous les coups de vent du diable ne l'auraient pas fait revenir là-dessus.

« Mais y'a une chose qui est bien sûre, c'est qu'ils sont arrivés jusque devant le Coulinec, puisqu'un bateau d'Audierne, qui avait mouillé là à cause du bon fond, les vit passer dans les lames et même qu'il leur cria pour leur demander s'ils n'avaient besoin de rien. Même peut-être qu'ils ont commencé à pêcher puisqu'on a retrouvé sur les Sables-Blancs des casiers dans lesquels, il y avait des chevrettes, mais toujours est-il que, vers deux heures du matin, on a entendu un bruit terrible, comme qui dirait un cyclone; Oh! ça n'a pas duré des temps et des temps ; mais, pendant dix minutes, le vent a soufflé plein nord, comme si tout était déchaîné. C'était en 1912, n'est-ce pas ? et les gens d'ici se rappellent tout comme si ça s'était passé hier soir. Quelque chose de pas ordinaire, que je vous dis, puisque tous les arbres de la villa des Peupliers ont été abattus dans le pré : des arbres en pleine force, qu'on aurait dit arrachés comme des poireaux, avec leurs racines ; et. devant l'hôtel, les cabanes en bois étaient écrasées

qu'on a eu de la peine à retrouver quatre planches. Une barque qui était devant la pointe de la Jument a été jetée sur les cailloux et c'est tout juste si deux hommes sur trois ont pu se cramponner aux goémons et tenir jusqu'au lendemain matin ; mais le pire, c'est la barque de Tréguellec, qu'on a retrouvée, aussi vrai que je vous dis, au delà des rochers, en travers du petit chemin de Saint-Jean : on. se demande encore comment elle a pu être envoyée là. avec quelques casiers qui étaient attachés aux planches et le petit, assommé et mort, lié à son banc, comme si le père avait eu peur qu'il soit emporté. Pour lui, on ne savait pas ce qu'il était devenu. On l'attendait sur la grève de Trez malaouën. où généralement les courants portent les noyés de la la baie, mais faut croire qu'il avait encore choisi son chemin, cet entêté-là ; il est arrivé neuf jours juste après le malheur sur la cale même. de Tréboul. Un douanier l'a retrouvé un matin - les crabes lui avaient mangé la figure, comme de bien entendu, mais dans ses vêtements, on a retrouvé des chevrettes - et des chevrettes grosses comme un doigt — au point qu'en secouant le ciré on a pu en remplir tout un panier...Bien sûr, personne d'ici n'en aurait voulu ; on connaissait Tréguellec pour avoir bu dans les débits et avoir fait la procession avec lui, à la Saint-Pierre. C'est un marin pêcheur de Guilvinec qui les a emportées dans un sac, mais je ne sais point ce qu'il en a fait...
Robert Dieudonné